La question lancinante qui revient sans cesse à propos des Alsaciens est sans-doute: de quelle nationalité sont-ils vraiment? Ces panneaux indicatifs au double language, l’un latin et l’autre germanique, le soin que chaque maison apporte à son apparence extérieure, les places publiques propres et fleuries… Pourtant les familles ayant eu un grand-père ou arrière grand-père alsacien pendant l’une des dernières Grandes Guerres savent pertinemment que les Alsaciens ne se sont jamais considérés comme allemands. Au point que les officiers nazis avaient pour ordre d’envoyer ces “Malgrés-Nous” sur les fronts les plus éloignés de la France (fronts russes et du Moyen-Orient notamment) de peur d’une désertion ou trahison. Il est cependant vrai que les habitudes quotidiennes d’un Alsacien sont sans-doute plus proches à celles du peuple germanique que des habitants de la côte méditerranéenne.
On retrouve cette ambiguité identitaire dans le monde du vin, à commencer par le flou qui existe encore aujourd’hui entre les frontières géographiques nationales et les délimitations des vignobles et dénominations. La Cave de Cleebourg, vignoble le plus septentrional d’Alsace à 60km au nord de Strasbourg, en est le parfait exemple. Le village de Cleebourg à la frontière franco-allemande avait été complètement détruit pendant la Seconde Guerre Mondiale car se trouvant dans la zone de no man’s land. Le vignoble a été progressivement reconstitué à partir de 1946 autour des nouvelles frontières nationales, jusqu’à accueillir aujourd’hui 200 producteurs, dont une part non négligeables de producteurs allemands, qui voient dans les règles de la dénomination des Vins d’Alsace un gage de qualité et de sérieux plus important que de l’autre côté de la frontière.
Le Riesling AOC Alsace 2012 de la Cave de Cleebourg, que nous avons dégusté au cours du diner au Bistrot des Saveurs à Obernai, conservait une très belle acidité finale.
Mais cette ambiguité se retrouve également dans les cépages utilisés en Alsace. Le fameux Tokay d’Alsace par exemple avait été rapporté selon la légende par le Baron Lazare de Schwendi de la ville de Tokaj en Hongrie, après y avoir repoussé les Ottomans pour le compte du Saint Empire Germanique au XVIème siècle. Or des études ampélographiques ont démontré au XXème siècle que ces prétendus Tokaj de Hongrie étaient en réalité des Pinot Gris, mutation en blanc de Pinots Noirs vraisemblablement venus de Bourgogne…un peu plus proche. Encore une fois entre le monde latin et germanique, le coeur de l’Alsace balance.
Ce Pinot Gris Tradition 2013 du Domaine Pfister a conservé son surnom de “Vin Blanc du Chasseur”. Ce vin gras et sec en bouche offre en effet une très bonne buvabilité que les chasseurs appréciaient sans doute pour casser la croûte après un réveil aux aurores.
Ce Pinot Gris AOC Alsace 2013 du Domaine Maurice Schoech offre une très bonne acidité grâce à son terroir granitique en bas de coteaux. Le vignoble est actuellement en conversion biologique.
Et que dire du Gewurztraminer, cépage alsacien bien connu du grand public pour ses touches sucrées et aromatisées, mais dont le nom vient de Gewürz qui signifie “épice” en langue germanique, et de Tramin, ville italienne du Haut-Adige? Encore une fois l’Alsace cultive des inspirations d’ailleurs multiples et variées :
Arthur Metz est un grand négociant d’Alsace avec 500 apporteurs de raisins sur un terroir de 1000ha. Ce Gewurztraminer est le choix idéal pour les occasions familiales en accompagnement de kouglofs sucrés ou même salés.
Frédéric Arbogast a continué la reconversion de l’activité familiale vers l’exploitation d’une vigne saine et de qualité (la région de Westhoffen s’était convertie à la cerise suite à l’épidémie de Phylloxéra). Ces vignes sur les Coteaux de Westhoffen donnent au Gewurztraminer de riches arômes, tout en conservant une belle minéralité finale. La cuvée Elisabeth (nom de la Grand-Mère) de 2012 possède une touche épicée supplémentaire (comme son caractère?).
Le Domaine Stirn se situe au coeur du vignoble alsacien, plus précisément à Sigolsheim. Fabien Stirn a su tirer le meilleur de la spécificité du vignoble alsacien, à savoir une richesse aromatique grâce à la conservation des acides aminées par la vigne durant les nuits plus fraiches. Ce Gewurztraminer AOC Alsace 2012 Vendanges Tardives en est sans doute le plus bel exemple.
Enfin véritable régional de l’étape, le Riesling a des origines historiques bien ancrées autour de la Vallée du Rhin. En effet dès 1435, le mot Rieslingen est mentionné dans une facture du comte Jean IV de Katzenelnbogen, qui a construit son dernier château à Rüsselsheim, près de Francfort-sur-le-Main et agrandi le vignoble existant. Et de l’autre côté du Rhin, les Alsaciens font remonter la culture du Riesling à la fin du XVème siècle. Mais il faudra attendre les années 1960 pour voir ce cépage devenir le premier cépage alsacien en surfaces plantées.
Sur le sol argilo-calcaire du lieu-dit Geierstein, le Domaine Ansen de Westhoffen obtient des Riesling fins et élégants, avec une note minérale rafraichissante.
Le Riesling est un cépage très délicat qui ne se prête que difficilement à l’exercice de la vendange tardive. Wolfberger y arrive pourtant admirablement bien avec ce Riesling 2009 Vendanges Tardives, très équilibré et soyeux en bouche.
Avec 70 g de SR, ce Riesling AOC Alsace 2010 Vendanges Tardives du Domaine Jean-Baptiste Adam offre une fraîcheur en bouche surprenante. Est-ce lié à son obtention de la certification Demeter (biodynamie) depuis 2008?
Il est même possible de trouver un RIesling en cacher en Alsace, grâce à la complicité du Rabin de Montréal (Canada) avec la Cave de Ribeauvillé :
Mais mon coups de coeur du séjour reste ce Riesling 2011 Grand Cru Engelberg du Domaine Pfister : un vin droit et tracé, à la fois frais et gourmand en bouche, avec une belle maturité des raisins offrant de très beaux arômes. Un vrai Grand Cru!
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LE JOURNAL À BORD DU VIN PARFAIT 